Ligne éthique, vraiment éthique ? Lettre ouverte à madame Grass

LETTRE OUVERTE A MADAME CHARLOTTE GRASS

GROUP CHIEF COMPLIANCE OFFICER

A la CFE-CGC nous assistons à une inflation du nombre de demandes d’accompagnement i.e. de plus de salariés recherchent nos conseils et viennent nous confier leurs doutes et leurs questionnements. Tous les niveaux hiérarchiques sont concernés : agents, collaborateurs, cadres, cadres Groupe…

Que se passe-t-il ? Comment ne pas s’inquiéter ?

Cette radicalisation se fait aussi sentir dans la démarche « Ligne Ethique ». Nous sommes obligés d’intervenir pour rétablir des situations qui ne devraient pas exister…

Nous parlons bien de tous les salariés, managers et managés. Tous sont susceptibles un jour d’être « victimes » du fonctionnement de la Ligne Ethique qui ne doit en aucun cas servir de prétexte pour « se débarrasser » de quiconque, manager ou managé. La souffrance et la non-transparence peuvent affecter les deux.

Notre section ne cesse de revendiquer les 4 points suivants autour du Comité éthique :

a. transparence sur les faits reprochés au salarié

b. possibilité pour le salarié d’être accompagné

c. neutralité et professionnalisme des « enquêteurs »

d. participation d’élus dans le Comité éthique

Un certain nombre de cas très discutables existent aujourd’hui :

  1. des délais trop longs qui laissent les salariés en souffrance ;
  2. des enquêtes menées par le ou la PDP du service, qui dès lors est juge et partie ;
  3. la décision a priori de considérer une alerte lancée sur la Ligne Ethique par un salarié envers son manager comme un simple problème de communication entre les deux ; donc pas d’enquête et souvent une décision arbitraire du PDP d’« exfiltrer » le ou la salarié(e) vers un autre service. Y avait-il un problème ? On ne le saura pas puisqu’il n’y a pas eu d’enquête.
  4. une confidentialité prônée par l’employeur mais qui connait parfois des failles graves ;
  5. des enquêtes de la Ligne Ethique qui aboutissent à un processus disciplinaire à charge contre le/la salarié(e) ; où est la progressivité de la sanction ? Où est le devoir d’accompagnement de l’employeur ?
  6. est-il « éthique » de laisser des salarié(e)s en souffrance, dans le doute et la précarité ? Des salarié(e)s sans poste ni mission qui errent de job posting en job posting ; où est le devoir de l’employeur de donner un travail ?

Nous recevons des témoignages qui traduisent l’ambiguïté de certaines règles de fonctionnement de la Ligne Ethique. En voici un que nous reproduisons sans filtre :

« Depuis quelques années, la ligne éthique est devenue un véritable mythe chez Michelin. Tout le monde la connait et tout le monde l’évoque mais quand le mythe devient réalité, la situation est un peu plus complexe. En effet, il y a quelques semaines, alors que j’étais en train de travailler au milieu de l’open-space, je reçois un appel Teams d’un collègue Michelin que je ne connais pas et qui me demande de m’isoler pour que l’on puisse discuter. Je m’éloigne donc rapidement, et un peu inquiète, en me demandant quel sujet me concernant pouvait relever de tant de confidentialité. En quelques minutes mon interlocuteur se présente, m’explique qu’il enquête pour la ligne éthique et que j’ai été citée comme témoin. Je ne rentrerai pas dans les détails concernant le fond mais plutôt sur la forme. En effet, alors que je n’ai rien demandé à personne, je me retrouve dans une situation très délicate où l’on me demande de témoigner sur mon hiérarchique, avec qui je travaille tous les jours, sans pouvoir lui en parler.

Deux choses m’ont particulièrement mise mal à l’aise suite à cette conversation. Premièrement, le fait qu’on me demande de témoigner tout en m’expliquant que je n’ai pas le choix, qu’il est de mon devoir d’employé de répondre puisque j’ai été citée. N’ayant jamais connu cela, je suis obligée de croire la personne et dans tous les cas, la confidentialité m’empêche de demander conseil à d’autres collègues. Deuxièmement, l’enquêteur me met une certaine pression pour parler et surtout pour ne pas rester anonyme. Là encore, mon instinct me dit de rester anonyme car on ne sait jamais comment les gens peuvent réagir mais d’un autre côté, la culpabilisation de l’enquêteur me fait douter. Et à qui en parler ? Là encore … Personne ! Je suis d’une nature plutôt franche et honnête et cette situation m’a beaucoup perturbée. Cela donnait l’impression d’une forme de délation car témoigner sur quelqu’un sans pouvoir lui en parler en face ne me paraît pas honnête. Surtout quand on sait que toute une partie de l’équipe a été sollicitée et que nous continuons à côtoyer ce manager qui n’est officiellement au courant de rien, au quotidien. Heureuse coïncidence, je suis tombée peu après sur un article de la CFE CGC, qui mettait en exergue l’importance pour les employés d’être bien accompagnés dans ce processus. Je me suis donc empressée de leur écrire et je conseille à toutes les personnes dans cette situation de faire de même afin de comprendre nos vrais droits et devoirs et de pouvoir échanger sans culpabilité ! ».

Insistons à nouveau sur ces notions de confidentialité et d’anonymat :

  1. la question de l’« anonymat » doit d’ailleurs être clarifiée : quid d’une plainte au Pénal pour délation contre des salariés qui auraient été identifiés malgré l’« anonymat » garanti par l’employeur ?
  2. un salarié qui apporte son témoignage dans le cadre d‘une enquête éthique (en remplissant par exemple un CERFA) n’engage-t-il pas sa responsabilité pénale en signant un document qui pourrait être produit devant les tribunaux ?

Enfin, alors même que beaucoup de services dans l’entreprise font l’objet de procédures régulières de contrôle interne, qu’est-il fait dans le cadre de la Ligne Ethique ? Son fonctionnement, son organisation, ses actions et conclusions sont-ils audités ? Qui s’assure, et comment, de la conformité entre la réalité des dossiers traités et les délivrables attendus ? Même si chaque dossier d’alerte éthique est unique, comment éviter les biais entre les divers enquêteurs plus ou moins bien formés ?

Il faut rappeler à tous les acteurs qu’engager un processus via la Ligne Ethique est un acte grave dont personne ne ressort indemne. Les Représentants du Personnel de la CFE CGC agissent déjà comme « médiateurs » dans beaucoup de situations remontées vers nous par des salariés ou des PDP/GDP eux-mêmes.

Les élus de la CFE CGC peuvent apporter de l’écoute et de la réflexion à tous les salariés pour les accompagner et les aider.

C’est pourquoi, Madame Grass, nous vous adressons publiquement la demande de prendre en compte nos interrogations légitimes et d’accéder à nos revendications exprimées dans cette lettre. Nous nous tenons à votre disposition et à celle de vos équipes pour faire évoluer favorablement le fonctionnement de la Ligne Ethique dans le respect de la loi et des personnes.

José TARANTINI

Délégué Syndical Central

CFE CGC

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