Dossier : les managers ont le blues…

Travail hybride, demande accrue de « soft skills » (compétences humaines, savoirs comportementaux, qualités relationnelles) sont autant de nouvelles pratiques qui se développent dans les entreprises. Ces dernières attendent de plus en plus de leur personnel d’encadrement et pourtant les encadrants et encadrantes se sentent de moins en moins reconnus ou valorisés. Symbole de cette crise ? le management de proximité a été au rendez-vous de la crise sanitaire, mais une telle implication a entraîné des conséquences sur le niveau de fatigue et de stress.

Allons-nous assister à une véritable dévalorisation de la fonction d’encadrement sous le double effet des politiques de « responsabilisation » et d’une certaine démotivation des managers, perdus entre fatigue pandémique, surmenage, mal-être et perte de sens ?

Les entreprises ne doivent pas oublier de prendre soin de leurs cadres, autant que des autres catégories de salariés. Au risque d’une crise des vocations qui pénaliserait toute l’organisation.

Pourquoi une désaffection des métiers d’encadrement ? Une raison simple, le métier de manager est de plus en plus exigeant mais de moins en moins reconnu.

« La grande démission… », nous avons tous entendu parler de ce phénomène qui touche les Etats-Unis. En France, nous n’en sommes pas encore là mais insidieusement on assiste à sinon une désaffection, du moins à un désamour progressif de la fonction « encadrement ».

La grande démission ?

Il y a encore quelques années, devenir manager était une promotion enviable et recherchée. Aujourd’hui, une partie des cadres ne cherche plus à exercer une fonction d’encadrement, en raison d’une surcharge de travail sur une mission aux attentes floues et parfois aux injonctions contradictoires « pris entre les attentes de l’équipe, un effectif insuffisant et les impératifs venus d’en haut… Cela ne laisse bien souvent que peu de marge de manœuvre, ce qui crée un sentiment d’inutilité, voire de frustration. Cette charge physique et mentale est épuisante ».

Faut-il s’étonner qu’en 2021, les cadres du privé ont fait grimper le taux d’absentéisme (étude de Malakoff Humanis de septembre 2021) ? La fatigue des manageurs est aujourd’hui un vrai sujet dans les entreprises. Ils doivent veiller à la cohésion du collectif, gérer les organisations tout en maintenant leurs objectifs. Le management des équipes, malgré la fatigue générale, nécessite de mobiliser l’endurance psychologique des individus sans se vider de sa propre énergie. La clé de cette équation réside dans la capacité du manager à identifier les défis qui vont se poser aux équipes et à proposer des objectifs atteignables et réalistes pour les relever.

Un manager doit disposer de temps pour encadrer comme il faut, mais il est trop souvent perçu comme un couteau suisse qui doit être sur tous les fronts. Si seulement 20 % des salariés souhaitent aujourd’hui devenir managers (étude Audencia Business School et BVA), c’est avant tout à cause du stress généré par cette fonction devenue, ces dernières années, un véritable sacerdoce. Le manager du 21ème siècle se doit d’être polyvalent, enfilant chaque jour plusieurs casquettes : coach, leader, stratège, RH, créatif, visionnaire, comptable… Résultat des courses : la fonction est tous les jours mise à rude épreuve et les managers ont besoin d’accompagnement !

Certains cadres refusent même ce type de promotion, préférant une évolution horizontale plutôt que verticale. D’autres demandent à être rétrogradés pour ne plus assumer ce rôle devenu parfois bien trop lourd. La transformation organisationnelle en marche dans de nombreuses entreprises avec des équipes en mode hybride, moitié au bureau, moitié à la maison, ajoute de la difficulté à la responsabilité.

Un couteau suisse ?

La crise sanitaire justement a exacerbé la difficulté à gérer des équipes à distance, le sentiment de solitude face à l’ampleur de la tâche (difficile de devoir sans cesse motiver ses équipes alors qu’on est potentiellement soi-même en « détresse psychologique » (étude Opinion Way pour Empreinte Humaine de décembre 2020).

Paradoxalement dans les entreprises, le statut de manager est moins reconnu.

Cette non-reconnaissance de ceux qui font tout pour leur job, qui prennent en charge les responsabilités et les problèmes mais qui ne sont pas assez reconnus ni valorisés, les mène naturellement à se poser la question « à quoi bon ? »

Des solutions existent pour revaloriser la fonction d’encadrement : perspectives d’évolution claire, autonomie, formation et accompagnement, outils de pilotage de l’expérience de leurs collaborateurs…

Des solutions existent

Les managers aspirent désormais à une meilleure reconnaissance de leurs compétences, de leur investissement et à davantage de perspectives d’évolution. Ainsi, les critères d’évaluation doivent être équitables, homogènes, transparents, fondés sur les compétences mises en œuvre et les qualifications de chacun.

La question de l’autonomie des managers est primordiale. Là où l’autonomie des managers et la Qualité de Vie au Travail se sont accrues, le stress a diminué et les conditions de travail s’améliorent.

Plus d’accompagnement et de formation pour les missions d’encadrement sont indispensables. Un bon expert dans un domaine ne veut pas dire être bon manager. La fonction s’apprend ; des outils existent pour faciliter l’exercice de ce métier et entrainer ses soft skills.

La notion de management implique un temps long et une remise en question quotidienne. Or, parce qu’ils ont déjà de multiples tâches, le temps que les managers accordent à l’écoute de leur équipe est réduit à la portion congrue. Aujourd’hui, des outils de pilotage de l’expérience collaborateurs viennent à leur secours pour les aider à mieux comprendre le fonctionnement de leur collectif.

Au-delà de la mesure, ces outils vont permettre à l’ensemble de l’équipe d’émettre des propositions d’amélioration et de les transformer en plans d’action partagés. Une dynamique qui redonne du sens au rôle du manager, qui occupe dès lors la fonction de l’entraîneur plutôt que celle du capitaine, lui permettant notamment de transformer chaque perturbation dans l’entreprise – fusion, acquisition, évolution du business model, digitalisation, smart working… – en source de valeur.

Repenser le rôle du manager est la clé ; il faut lui redonner sa place dans la cohésion des équipes

Redéfinir la fonction pour lui donner du sens et en finir avec une définition vague de la fonction est indispensable. Qu’est-ce qu’un manager ? Le manager aujourd’hui doit être capable d’entendre et de comprendre chacun, de reconnaître les compétences individuelles et de les intégrer efficacement dans le collectif, de faire ressortir le meilleur de chacun, d’adapter son discours en fonction de l’interlocuteur…

L’image du management est obscurcie à cause d’un quotidien épuisant, plongé dans la gestion de l’opérationnel et le contrôle, puisqu’encadrer n’est pas reconnu comme un métier, mais comme une fonction annexe.

Entreprises, redonnez du sens à ce métier en le recentrant sur sa mission d’origine : contribuer au bien-être, à la montée en compétence et au développement des équipes. Les managers, à qui on donne du temps pour travailler avec leurs équipes, se sentent reconnus, savent pourquoi ils sont là et comment ils contribuent à la performance de l’entreprise.

Redonner du sens

La récente pandémie, entre autres, a rappelé que le rôle de manager restait plus que jamais essentiel à la cohésion des équipes, à l’attractivité des organisations et à la rétention des talents. 

Et chez Michelin, le bilan n’est pas différent ! L’entreprise doit reconnaître et soutenir ses cadres, au même titre que les autres salariés.

Trop souvent dans notre entreprise on place un salarié en position de manager pour « cocher la case » puis, constatant des lacunes, on lui attribue un plan d’amélioration qui, s’il n’est pas concluant, débouche sur le retour douloureux à la case départ voire pire, un licenciement. La CFE-CGC accompagne assez de salariés pour en témoigner.

Manager, un risque ?

La démarche de responsabilisation entreprise depuis 2018, dont la CFE-CGC se félicite, a néanmoins impacté la population des managers, en leur demandant de travailler différemment sans parfois les former, en rendant flous les périmètres de chacun sans donner toujours les moyens de clarifier. Cette démarche a déclenché des questions sur le management : quelle est la valeur ajoutée de la mission ? Contrôler l’activité des uns et des autres ou continuer de développer les talents, de créer du lien social et de l’énergie collective ? Les managers ont pu être ensevelis sous des injonctions contradictoires.

Pire encore, manager commence à être perçu comme un métier à risque chez Michelin. Le déploiement de la Ligne Ethique, dont la CFE-CGC souligne et reconnait l’importance, exige beaucoup d’attention de la part de Michelin, afin que la mise en œuvre soit équitable, transparente et irréprochable.

Dans un contexte économique de plus en plus évolutif, trouver de nouveaux relais de croissance, consolider les marchés sont autant de défis à relever pour le Groupe. Les managers représentent un point d’appui majeur dans l’accompagnement de ces transformations qui sollicitent toujours plus de compétences transverses. Ils doivent être formés, accompagnés, reconnus et soutenus. Ils se sentent souvent seuls, abandonnés et challengés.

Les managers doivent aussi porter des décisions parfois mal expliquées auprès de salariés malheureusement devenus méfiants, décisions pour lesquelles les managers eux-mêmes sont concernés (les exemples les plus récents : augmentations de salaires supposées basées sur la performance individuelle ; des références marché modifiées dans In Touch sans aucune explication préalable ; des frais pro modifiés radicalement au détriment de la motivation des individus et de la simplification du processus de remboursement…).

Aujourd’hui Michelin doit s’engager de façon pérenne à améliorer les conditions et la Qualité de Vie au Travail, clés de la réussite pour les managers comme pour tous les salariés ; cela nécessite de mieux accompagner la formation et l’évolution professionnelle, de maîtriser la charge de travail, de développer l’autonomie et la coopération mais surtout de redonner du sens et de la valeur au travail des cadres.

La CFE-CGC accompagne tous les salariés qui en ont besoin et qui la sollicitent, manageurs comme managés. Nous savons qu’être manager en 2022 est difficile. Nous proposons et travaillons avec Michelin pour la mise en place de mesures préventives et des plans d’actions concrets afin que cette évolution redevienne une aspiration légitime des salariés.

José Tarantini, Délégué Syndical Central

Pour aller plus loin

Une réponse à “Dossier : les managers ont le blues…”

  1. Georges dit :

    Merci pour ce regard hélas réaliste porté sur une si belle mission.

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